JUSTICE IV) UN SCÉNARIO POUR UNE BONNE PIÈCE THÉÂTRALE

MAIS PERSONNE N'APPLAUDIT

Là, c'est du sérieux. L'homme qui se présente à la barre du tribunal est précédé d'un pédigrée (on reviendra sur cette appellation) impressionnant de malfaisant. Du moins si l'on s'en tient au résumé des cinq motifs de poursuites dont il fait l'objet.

Entre autres, il se serait rendu coupable de harcèlement auprès d'une conjointe dont il aurait dégradé les conditions de vie et altéré la santé, ceci pendant une période de cinq années consécutives, de janvier 2020 à février 2025. 
Pour faire bonne mesure il aurait aussi diffusé des images à caractères sexuels de sa victime sans avoir obtenu son accord. Et puis comme cela ne suffisait pas, il y aurait ajouté des violences habituelles dont l'épouse aurait eu à souffrir. Bref, un type pas recommandable du tout.

Toutefois, la présidente s'adresse à lui en des termes mesurés, en cherchant à comprendre. Elle pose plus d'interrogations qu'elle n'avance d'affirmations. Mais l'homme, un mètre quatre vingt dix, quatre vingt dix kilos, se défend mal. Il répond à côté des questions comme si il cherchait à détourner l'attention. Il n'est guère convaincant.
Quand le procureur prend la parole, c'est pour bien accabler le personnage qu'il a en face de lui. Un personnage dont il dénonce un lourd pédigrée présumé. Pensez-donc, cet homme, bâti comme un athlète, a fait une partie de sa carrière dans l'armée. C'est un combattant. Face à cela, que pouvait bien faire une pauvre femme fragile. Une femme si traumatisée qu'elle a eu peur de se présenter devant le tribunal en sa présence, ce qui explique son absence. Qui plus est, ce personnage maléfique semble être convaincu que le tribunal va être indulgent avec lui.

Alors, quand le représentant du parquet a fini son réquisitoire et qu'il a réclamé pour le psychopathe debout à la barre une peine de trois ans de prison, dont un an de prison ferme, il n'y a plus grand monde dans la salle d'audience pour accorder une quelconque indulgence à cet homme qualifié également de diabolique. Les dès sont jetés, le public est censé le croire. 
Acta est fabula! La pièce est jouée? Non! Le suspens ne fait que commencer

Car la parole est donnée au défenseur. C'est un bouillant. Cela fait deux heures qu'il bout sur son banc de ne pouvoir intervenir. Alors Maître Marc Antonini, du barreau de Saint-Quentin, va pouvoir enfin se lâcher. Et ça va faire mal. Sa cible, le parquet, le procureur.
Brandissant théâtralement les preuves que l'accusation est censée avoir en sa possession, l'avocat lui fait reproche de les avoir volontairement ignorées.
Ces preuves? Un constat d'huissier démontrant que c'est la victime qui est à l'origine de la vidéo diffusée en public. Faute de pouvoir diffuser la vidéo au tribunal, l'huissier en a fait un récit illustré de photos très suggestives que l'avocat agite sous les yeux du tribunal. Des preuves qui viennent démentir les accusations portées par l'épouse.
Et ce n'est pas tout. L'avocat produit aussi le témoignage d'un 'ancien mari de la victime. On résume ses déclarations. Mon ex-femme est une manipulatrice. Elle m'a fait tout voir, elle m'a conduit au bord du suicide. Elle n'est intéressée que par l'argent. D'ailleurs son mari précédent, (oui la victime est une collectionneuse), s'est lui-même suicidé. 
Voilà, entre autres, ce que profère Me Antonini en jouant à la fois de la voix et du geste. Il s'adresse encore au procureur pour lui reprocher d'avoir utilisé le mot pédigrée pour qualifier le parcours du prévenu. “Le pédigrée, c'est pour les animaux, mon client n'est pas un chien” déclame-t-il avec emphase.
On est au théâtre. Le renversement de situation est remarquablement joué. L'accusé devient l'accusateur. Il peut être entouré désormais de compassion. Pauvre homme victime d'une telle manipulation d'une si mauvaise femme.

D'ailleurs, après une demi heure de délibéré, le tribunal annonce la sentence. Dix-huit mois de prison (la moitié des réquisitions) et un sursis complet. Pas de peine ferme. Il est un peu plus de dix huit heures. La scène avait commencé à treize heures trente. C'est long pour une pièce théâtrale. C'est beaucoup pour une affaire au tribunal.
Le prévenu quitte la salle en souriant, à l'évidence soulagé. Lors de la suspension d'audience il avait demandé à la presse si elle allait publier son nom. Il semblait redouter cela plus que la sanction pénale. Il exerce à Boulogne-sur-mer une profession libérale auprès d'une clientèle de fidèles. Dont des femmes…

 J.G.