JUSTICE: 45 JOURS DE PRISON... POUR RIEN ?

Si l'habit ne fait pas le moine, le profil fait-il le coupable?

Violence commise le 12 avril, violence commise du 15 au 20 juillet, violence commise le 29 juillet, à Boulogne-sur-Mer. 
Là, c'est un cas sérieux car le prévenu a le profil adéquat avec un casier judiciaire lourdement chargé. Soit quarante deux mentions pour des faits de violence mais aussi de vols, de destructions, d'effractions et de larcins divers. Il se prénomme Mehdi.
Par surcroit, puisqu'il est détenu, il fait son entrée dans la salle d'audience du Tribunal de Boulogne avec les menottes aux poignets encadré par trois agents relevant de la pénitentiaire. Le spectacle peut commencer même si la salle réservée au public est loin d'avoir fait le plein. Mais le profil fait-il le coupable comme l'habit ne fait pas le moine..?

Au premier, et seul rang du public maigrement occupé, la victime de ces violences s'est installée. Mais quand la présidente lui demande si elle se porte partie civile elle répond par la négative. Et elle maugrée une phrase qui laisse entendre qu'elle n'est pas d'accord avec tout ce qu'on reproche au prévenu. Ça commence fort.
Interrogé par la présidente du tribunal Mehdi à un argument de défense qu'il répète inlassablement “Je n'ai jamais levé la main sur elle”.
La magistrate insiste, relit a voix haute les procès-verbaux dressés par la police boulonnaise. Rien n'y fait, Medhi nie. Il y a déjà un petit moment de flottement lorsque la présidente rappelle que le prévenu avait commencé cette série de violences à Boulogne le 12 avril dernier… Et que Medhi lui répond “Ce n'est pas possible, j'étais en prison”. Et que c'est vrai, il était bien incarcéré à cette date. 
Et cela va continuer sur le même mode. Mis face à une nouvelle accusation de violence contre sa victime, le prévenu dément en ajoutant “vous pouvez lui demander, elle là”.

A ce stade on sent la présidente embarrassée. Elle revient sur le passé douloureux du prévenu, son enfance difficile. Medhi, de son prénom, porte un patronyme bien boulonnais. Il a longtemps vécu à la cloche de bois. On a pu le croiser trinquant jusqu'à plus soif avec ses compagnons de misère aux abords de la Place Navarin.
Et puis un jour il a croisé Pascale. Ils se sont plu. Ils avaient sûrement des goûts à partager. Elle l'a accueilli chez elle. Cela ne s'est pas toujours bien passé entre eux deux. Il est vrai que Mehdi n'est pas très stable. À défaut d'échanges de coups qui ne sont pas établis, il y a eu des échanges de paroles ou de gestes un peu excessifs. Alors Pascale a appelé la police, deux fois. Medhil a été placé en garde à vue, deux fois, et rendu libre deux fois. Au troisième appel, il a été incarcéré pour violences. C'était le 31 juillet dernier. Fin de la présentation.

C'est au tour de la procureure de requérir. A l'exception du casier judiciaire avec ses quarante deux mentions, elle n'a pas grand chose de bien probant à objecter aux dénégations du prévenu. Néanmoins, peut-être par solidarité avec ceux qui ont monté cette curieuse mise en accusation, elle réclame, sans y mettre beaucoup de persuasion, une peine de détention.
 

À écouter Maître Triquet plaider en faveur de Medhi, il n' y a pas grand chose dans le dossier d'accusation qui semble justifier la présence du prévenu devant le tribunal. Pour les faits présumés du 12 avril, il est prouvé que son client était en prison. Pour les faits présumés commis du 15 au 20 juillet, il a passé deux fois deux jours en garde à vue entre ces deux dates, c'est confirmé. Reste le 29 juillet, l'avant veille de sa mise en détention. Selon l'avocate, pour ce jour-là, l'accusation ne s'est fondée que sur les procès-verbaux de la police et sur les certificats du médecin légiste qui a examiné la victime deux jours plus tard. 
Or, d'un côté les premiers ont surtout relevé sur Pascale des traces de griffures… sur le bras droit. De l'autre le médecin  a constaté des traces d'ecchymoses… sur le bras gauche. Aïe!
Quand l'avocate a fini de plaider on a compris que l'affaire était pliée. Medhi et son ex-compagne restée dans la salle, en s'échangeant de loin des mimiques complices, en semblent eux-aussi persuadés.

C'est une sorte de record: cinq minutes chrono. De retour dans la salle d'audience après ce bref délibéré le tribunal rend son jugement: relaxe! Tout cela pour ça!
La pénitentiaire repasse les bracelets à Medhi. Il va retourner à la prison de Longuenesse pour sa levée d'écrou. Libre, il sera libre après un mois et demi de détention. Pour rien.

Cette affaire est symbolique.
Symbolique d'une justice qui apparaît souvent défaillante, bien en amont des juridictions. C'est un moindre mal si les juges du siège sont attentifs et bienveillants, comme dans cette histoire. Mais en est-il toujours et partout ainsi?
Symbolique aussi d'une véritable misère sociale et morale qui sévit dans la ville, parfois à recours d'alcool ou de stupéfiants.
A Boulogne-sur-Mer, l'enceinte de la justice prend parfois des allures de Cour des Miracles. 
Splendeurs et misères de ces cours
Ou Les Illusions perdues, pour rester balzacien.