AU TRIBUNAL: C'EST LE SALON DE L'HORREUR

Sans oublier une petite princesse

C’est comme un mauvais film dont voici le synopsis: Dans un quartier plutôt abandonné de Boulogne-sur-Mer, Sullivan, un trentenaire revendiquant sa transexualité, ouvre un salon de beauté à vocation sociale destiné aux femmes ne disposant que d’un faible budget.  Après deux ans d’exercice, les recettes ne permettant pas de couvrir les frais, l’esthéticien social se retrouve avec une dette qui n’a rien de social vis à vis de son propriétaire. Pour combler cette dette il a une idée, proposer à ses clientes et à leurs relations l’organisation d’une journée à Disneyland, voyage et hôtel compris, pour  quelques dizaines d’euros. Un vrai prix d’ami, puisque rien que l’entrée au Parc est à 70 euros au minimum sur le site officiel.  Grâce à cette promesse, il encaisse une avance auprès d’une centaine d’amateurs du genre.  En vérité, son idée consiste à utiliser l’argent ainsi récolté pour payer ses loyers en retard. Il espère ainsi refaire du chiffre d’affaire au salon de beauté social, et rembourser les souscripteurs en annonçant que le voyage ludique a été annulé. Mais rien ne va se passer comme prévu…  

Bon, ce qui précède c’est ce que Sullivan et son avocate vont tenter d’expliquer en ce mardi matin à un tribunal exclusivement féminin, face à un public composé d’une petite cinquantaine de parties civiles essentiellement féminines, parmi 78 victimes officiellement recensées. 
Ceci sous les regards et les oreilles d’un banc de presse largement garni pour la circonstance.  
L’audience est ouverte à huit heures trente. Les deux premières heures vont être uniquement consacrées à un rappel des faits présumés et à l’appel et la présentation des parties civiles qui ont fait le déplacement ou sont représentées par un avocat.  Après une première suspension d’audience les choses sérieuses vont pouvoir commencer.


Les avocats de la partie civile ont la parole et ça va être au tour de l’esthéticien Sullivan de se faire prendre à rebrousse poils. La première intervenante déplore, par exemple, que « des familles ont investi une partie de leurs économies pour offrir à leurs enfants un voyage et un séjour qu’ils ne feront jamais ».
 Et non seulement Sullivan a annulé le voyage mais il n'avait plus un cent pour rembourser ses victimes.
Quant à Maître Krych, qui avait préparé ses effets, il n’hésitera pas, sans doute en référence au salon de beauté, à faire son entrée en scène en s’exclamant de sa voix de Stentor « C’est le salon de l’horreur ». 
Pour justifier cette saille l’avocat rappellera que Sullivan, en plus de l’escroquerie aux voyages, avait aussi créé de toutes pièces un avis de décès d’un enfant imaginaire, invitant les personnes sensibles à y aller de leur obole.

“La mort de ma petite princesse”

Mais c’est la procureure de la république qui, sans précaution oratoire, va sans doute planter définitivement le décor de cette histoire en insistant sur « la situation de Boulogne avec le chômage et la précarité ». Pour elle la volonté d’escroquer les « pauvres gens » est manifeste. Elle revient sur le fameux faux faire-part de décès où il était question d’un père qui pleure « la mort de sa petite princesse », qui se sent très malheureux et qui fait appel à la générosité publique. L’image sociale de l’esthéticien en prend un rude coup. Enfin, après avoir rappelé que Sullivan ne pourra sans doute jamais pouvoir rembourser ses victimes, la procureure, dans une digression inattendue, souligne que c’est « nous » les contribuables qui allons payer pour lui. En foi de quoi elle réclame une peine de deux ans de prison, avec sursis quand même.

Un cas désespéré

Pas facile pour Me Agnès Courcelle de défendre le cas désespéré du pauvre Sullivan. Mais comme pour les chants, les plus désespérées sont parfois les plaidoiries les plus belles. Elle soutient que son client n’a jamais eu l’intention de nuire. Et puis l’avocate rappelle la jeunesse de son client, déjà en proie aux moqueries et autres vexations parce qu’il serait transgenre. Elle soutient aussi que l’affaire a pris une telle ampleur médiatique après la publication locale d’un article (ce qui pourrait aussi expliquer le nombre de parties civile recensées, ndlr). Elle rappelle encore que son client a été menacé des pires sévices, que ses locaux et son habitation ont été endommagés. Elle argumente en s’appuyant sur le droit, pas sur les faits. Elle réclame la relaxe sans se faire d’illusion « Je sais qu’il va être condamné ».  
Après que la présidente eût rappelé que la justice se faisait dans le tribunal et non pas dans la rue ou les réseaux sociaux, le tribunal se retire pour délibérer. Il ne reviendra que plus d’une heure plus tard. 

Ne couvrez pas ce sein…

A son retour la sanction ne surprend personne: dix huit mois avec sursis, plus un tas de peines aussi complémentaires qu’inutiles mais prévues par la législation. En revanche la présidente énumère, une par une, à chacune des parties civiles reconnues, le montant des indemnités auxquelles elles pourront prétendre un jour à grand renfort de patience. En gros, on doit arriver à un total qui dépasse les dix mille euros. Contribuables à vos poches a prévenu la procureure.

Il est 12 heures 45 quand l’affaire est close. L’audience avait commencé près de cinq heures plus tôt. 
Heureusement, une des plaignantes venue, faute de pouvoir faire autrement, avec sa fille de 18 mois sur les bras, avait tout prévu. La gamine a pu téter sa maman, sur le banc du public, pendant les débats. Tartuffe était absent. Dans la salle d’attente un banc de bois lui avait aussi servi de table à langer. C’est cela aussi la justice à Boulogne.  

Ouf, la salle s‘est vidée !


Un homme avec ses deux béquilles va pouvoir faire son entrée dans la salle d’audience. Il avait été convoqué pour 8 heures 30. Il patiente depuis cette heure-là dans la Salle des Pas perdus qu’on pourrait rebaptiser Salle du Temps perdu. 
Ben, l’avait qu’à pas harceler sa compagne, non mais des fois…!