UN FUTUR CHEF DE LA TRIBU DES CÉPAMOI-PAMOI

UN ANGE PASSE

Si l'on s'en tient à son prénom, il serait une sorte de messager divin. Quant à son patronyme, il laisse entendre qu'il n'est toujours pas adulte. A défaut d'un air angélique, Angelo donne l'impression de se ficher de tout, y compris du tribunal devant qui il se présente, décontracté, pour répondre à une tentative de vol par ruse commis le 11 août 2024, vers minuit, aux Éts Morrisson de Saint-Martin-Boulogne. 

A l'évidence le jeune homme, 23 ans, présenté par son avocat comme membre de la communauté des gens du voyage, doit faire partie de la légendaire tribu des Cépamoi-Pamoi.

À la barre, face au tribunal, sans se départir de son sourire, il débite sa version des faits, on romance à peine. Le 11 août, il a quitté son campement de Saint-Quentin dans l'Aisne pour venir promener son chien à Saint-Martin-Boulogne, là-bas, dans la ZI de L'Inquétrie. Drôle d'endroit pour une ballade . Et voilà que vers minuit le chien lui fausse compagnie. Parti à sa recherche à proximité des établissements Morrisson, Angelo aperçoit qu'une des portes du bâtiment a été forcée. N'écoutant que son amour canin, il veut vérifier si son animal ne se serait pas faufilé dans les lieux. Une fois à l'intérieur, il fait la rencontre de deux hommes qu'il ne connaissait pas, lesquels ont déjà préparé tout un tas de rails en aluminium d'une valeur de deux mille euros. Mais pas de chien. Sans doute alors Angelo s'apprêtait-il à faire demi-tour quand des policiers, alertés par un système d'alarme, le prenant pour un autre, l'ont embarqué manu militari.

La présidente n'est pas très convaincue par cette histoire. Et pour cause, sur une vidéo enregistrée cette nuit là, tandis que les cambrioleurs préparaient la marchandise à emporter, on aperçoit nettement un personnage qui porte une veste noire sur un maillot blanc et un short à rayures noires et blanches. Les mêmes vêtements que ceux qu'il portait sur lui quand on l'a emmené au commissariat. Mais Angelo, tout sourire, a une explication, il n'est pas le seul à porter une telle tenue. D'ailleurs ajoute-t-il sérieusement en montrant d'un geste à la volée les magistrats: “La preuve, regardez vous, vous êtes tous habillés pareil". 
Eh, oui, c'est tellement évident.

Oh, il y a bien un petit détail qui cloche. L'un des hommes arrêtés cette nuit-là, en même temps qu'Angelo, avait déjà comparu devant une autre juridiction quelques mois plus tôt en sa compagnie pour une autre histoire de vol. Difficile de prétendre dans ces conditions qu'ils ne se connaissaient pas. Mais rien n'ébranle le jeune homme. il rencontre tellement de gens quand il fait la fête qu'il ne peut pas se souvenir de tout le monde. Et si cette version là ne convient pas aux magistrats il en a une autre. Il est comme cela Angelo, il ne se démonte pas. Toujours avec le petit sourire de celui qui ne croit pas ce qu'il raconte mais ne s'en cache pas.

Bon, vu les éléments recueillis par les enquêteurs, la participation du jeune homme aux faits commis dans la nuit du 11 août ne fait pas de doute pour le tribunal. Pas vraiment de doute non plus pour l'avocat de la défense dont, dans l'assistance, on n'a pas bien compris le sens de la plaidoirie. Ils sont comme ça aussi, parfois, les avocats, il leur faut bien justifier, de préférence avec un certain talent d'éloquence, leur présence.
De retour après un bref délibéré, le tribunal confirme avoir suivi les réquisitions de la procureure. Angelo s'apprête à repartir avec une peine de six mois de prison. Avec sursis. Mais la présidente du tribunal a une ultime question à lui poser. On ouvre les guillemets “ Et le chien, l'avez-vous retrouvé?”
Elle aura ainsi eu le dernier mot. Rideau.

Note à Angelo:  un chroniqueur blanchi sous le harnais se souvient. C'était dans les années quatre vingt dix. Un Angelo bis avait joué à peu près le même rôle devant le tribunal boulonnais. Il s'en était bien sorti. Quelques mois plus tard, sur appel du parquet, il avait comparu à Douai. Il y était arrivé les mains dans les poches, confiant. Devant les magistrats de la cour d'appel il avait repris les mêmes répliques, la même attitude. La seule différence c'est que son interrogatoire avait été plus bref. Il n'avait pas eu le loisir d'exposer tous ses talents de conteur. La cour s'était retirée depuis peu quand on a vu arriver dans la salle des policiers pour contrôler les entrées et les sorties. Au retour des juges la sanction tombait: prison ferme, arrestation à l'audience et conduite en prison.
C'était il y a trente ans. Un siècle!