IL AURAIT MIEUX VALU RESTER COUVERT

Quand la Justice s'embrouille

Il est bientôt seize heures ce mardi 7 octobre dans la salle du Palais de Justice de Boulogne/Mer quand le tribunal (une présidente, deux assesseurs, un procureur et une greffière) vient prendre place à la tribune.  

A l’exception de ces professionnels et du banc de presse, la salle est vide quand la présidente appelle la seule affaire inscrite au rôle de l'après-midi. 
On voit alors s’avancer, venant de la salle des pas perdus, accompagnés de leur avocat, trois beaux gaillards suivis de sept personnes de leur famille. Pas d’autre public. C’est un peu comme une affaire qui allait être jugée à huis clos.  

Les chefs d’accusation sont graves… On les résume: abus de faiblesse ou d’ignorance au préjudice de personnes vulnérables ou encore concours à une opération de placement du produit d’un délit de fraude fiscale aggravée. Les faits sont censés avoir été commis entre le 1er août 2011 et le 4 novembre 2015.
 C’est à dire que les plus anciens remontent à plus de quatorze ans!  

Les trois hommes, trentenaires et quarantenaire aujourd'hui, sont tous membres de la grande famille des gens du voyage. Ce n’est pas leur seul point commun. Ils sont aussi tous les trois couvreurs, et même couvreurs de père en fils, par tradition. Ils ont parfois travaillé ensemble.  Il leur est reproché d’avoir profité de la vulnérabilité de clients âgés en surfacturant des prestations, voire en détournant leur argent. Seulement il n’y a pas de partie civile à s’être fait connaître. Et il n’y a pas non plus d’éléments probants, juste des constats. De l’argent, deux centaines de milliers d’euros, ont été découverts par les enquêteurs sur un compte. Mais rien ne prouve l’origine illicite de ces fonds. Il reste le constat d’un « expert » censé démontrer que les couvreurs auraient surfacturés certaines prestations. Oui, mais comme vient le préciser l’avocat, interrompant du même coup l'interrogatoire de la présidente, l’expert n’en était pas un. C’était un simple entrepreneur en couverture. Rien qu'un concurrent des trois gars en quelque sorte. 

Interrogés sur les natures de leur prestations professionnelles, les trois hommes ont la même réponse « Cela remonte à douze ou quinze ans, comment voulez vous que je me souvienne de ces détails ». C’est imparable.  Et puis vient le moment de la plaidoirie de leur avocat. Me Lebas va offrir au maigre public un vrai numéro. Ne serait-ce que lorsqu’il évoque les conclusions du fameux “expert” qui reproche aux prévenus d’avoir surfacturé des travaux qu’il n’a pas pu évaluer sérieusement. Ceci alors que « lui-même a facturé à la justice sa prestation d’une seule journée à plus de mille euros ». 
Pendant 56 minutes (il avait annoncé à la presse qu’il en aurait pour une heure il a presque tenu parole) Me Lebas, un Roubaisien du barreau de Lille, va faire le spectacle. Il vante les mérites de ces hommes, ces couvreurs qui, au mépris des risques et de leur santé, montent sur les toits, travaillent durement, sont méritants. Il suggère même que si ses clients sont poursuivis ce serait parce qu’ils sont originaires des gens du voyage. Et, avant de conclure à la non culpabilité des trois hommes, il excuse par avance le tribunal des les avoir fait venir à la barre « Vous êtes les otages d’un dossier », d’un dossier à l’évidence mal ficelé. Un dossier que le procureur, chargé de l’accusation, avait eu bien des difficultés à soutenir.

Tant et si bien qu’après en avoir délibéré, le tribunal prononce la relaxe totale des trois gaillards. Il est dix huit heures, l’audience est levée. Les trois gaillards saluent le tribunal avant de rejoindre leur public qui se retire, pas vraiment étonné.

Tout cela pour ça, serait-on tenté de dire.

A ce stade, quelques explications plausibles ne seront pas superflues.

Alors… à suivre!